Retrouvailles
Harper Collins scrutait le ciel de la Baie Argentée, devant la fontaine du centre de la ville. Il était impatient. Il attendait son ami depuis une dizaine de minutes déjà , et les Dieux savaient combien Harper détestait le retard. Lui-même n'était jamais arrivé en retard où que ce soit, et n'admettait pas qu'on pût le faire attendre de cette façon. Caao, cependant, restait l'exception. Il était l'exception. Tout ce que Harper détestait le plus chez les autres, il l'acceptait de Caao. Celui-ci était encore un mercenaire insouciant, et Harper comprenait bien cette façon de se comporter comme un électron libre, jamais totalement attaché à ses responsabilités, jamais complètement lié au sol. Peut-être cette façon de ne jamais lui reprocher quoi que ce soit lui permettait de se dégager un peu de lui-même, et de voir le monde sous un autre angle.
C'est alors que la silhouette de Caao, qu'Harper connaissait si bien, apparut dans le ciel. Harper lui fit alors signe de la main. Caao descendit et se posa devant lui.
Entre eux, tout était différent, de leurs tenues à leurs expressions, et pourtant, ils étaient les meilleurs amis d'Enroth. On disait même qu'ils s'entendaient mieux que les seigneurs Stromgard et Stone. C'était dire.
Caao Salem était le quatrième des enfants de l'armurier de Sorpigal la Nouvelle, qui attendait depuis longtemps la naissance d'un garçon, afin que l'avenir de son armurerie fût pérenne.
Caao se montra très inventif dès son plus jeune âge. Il avait vu un mage voler dans les airs, et avait alors décidé qu'un jour, lui aussi volerait. Dès lors, il utilisa tout ce qu'il pouvait trouver dans l'armurerie de son père - chutes de métal, outils - pour construire quelque machine qui lui permettrait de voler. Toutes ces tentatives se soldèrent par des échecs ; mais le petit Caao ne se laissa pas démonter pour autant.
Il apprit un jour que la magie de l'Air permettait aux plus aguerris de voler, et se mit en tête d'être le meilleur à l'école afin d'étudier la magie. Il s'inscrivit aussitôt à la Guilde des Eléments, et apprit les sorts mineurs qui en dépendaient, sans l'aide d'un quelconque professeur. Il affina sa vue grâce à l'oeil du Sorcier, et maîtrisa de mieux en mieux les pouvoirs de l'Air. A l'âge de dix-huit ans, il se présenta chez Gilliam Herton, à Mist, afin qu'il lui enseignât l'art des maîtres. Celui-ci le congédia aussitôt, persuadé qu'il se moquait de lui : à l'âge de Caao, l'on apprenait seulement à lancer des Charges Statiques. Caao n'avait pourtant eu aucun mal à obtenir son diplôme d'Expert, et à l'époque il n'était même pas majeur.
Il se rendit alors chez le marquis de Mist, dont l'avis lui serait peut-être plus favorable. Lord Newton lui répondit qu'il n'était pas de son ressort de former des maîtres de l'Air. Cependant, il le laissa montrer ce qu'il savait faire et se montra très impressionné lorsque Caao lui envoya une Implosion qui lui coupa le souffle. Malgré tout, Lord Newton ne céda pas ; pourtant, Caao pouvait toujours aller voir un professeur afin qu'il le recommande pour devenir un Sorcier. Mais Caao se fichait bien de cela. Il voulait juste voler, planer, vivre comme un oiseau : être libre comme l'air, et être Maître de l'Air.
Alors, Caao s'était fait mercenaire, au grand dam de ses parents qui auraient voulu lui passer l'affaire. Mais Caao n'en faisait qu'à sa tête. Ses parents vendirent l'armurerie ; Caao leur versait chaque mois une partie de ses primes. Il n'avait pas de chez lui, à part une chambre à Sorpigal-la-Nouvelle, et dormait le plus souvent dans des tavernes, ou à la belle étoile : peu lui importait.
Harper, au contraire, semblait bien moins libre que son ami. Non pas qu'il se sentait mal de porter les responsabilités qui lui incombaient, au contraire, il était fier de ce qu'il pouvait représenter, et de sa réussite dans la société.
Sa mère avait épousé un soldat de Roland, mais celui-ci mourut durant les Guerres de Succession. Elle en eut tout de même un fils, qui naquit six semaines après que son père mourut. Elle lui donna le nom de son défunt époux : Terry Ros. De la pension qu'on lui donna après le décès de son mari, elle en fit une dot pour un marchand de Rockham plus jeune qu'elle, Neil Collins, dont elle eut encore un fils, Harper.
Les demi-frères ne s'appréciaient guère, bien qu'étrangement, ils se ressemblassent beaucoup. D'ailleurs, ils cachaient leur parenté aux autres. Les deux eurent en tête d'étudier la magie, cependant, ils en avaient une conception tout à fait différente : Terry voyait en elle une moyen de venger son père des fidèles d'Archibald, Harper lui prêtait un rôle qui lui permettrait d'être plus célèbre que son père. Tandis qu'Harper étudiait la Magie de l'Eau et se prêtait aux expériences de la Guilde des Alchimistes, dont il était membre, Terry apprenait les magies élémentaires, mais surtout celles de la Lumière et de l'Ombre, afin de comprendre comment fonctionnait la nécromancie, non pas pour l'utiliser, mais pour la détruire.
Terry fut présenté au marquis de Mist par un éminent membre de la Guilde de la Lumière, qui demanda au seigneur de bien vouloir former le jeune homme à l'art des Sorciers. Lorsque Terry lui affirma qu'il n'avait pour but que de venger son père, Lord Newton refusa qu'il accède à la cour. Par la plus grande des coïncidences, Caao Salem se présenta le même jour au château de Mist. Ils ne firent que se croiser. Certes, Terry avait cinq ans de plus que lui et ne le connaissait pas, mais Caao lui laissa une forte impression : son visage était empli d'une détermination dont Terry doutait qu'il ait lui-même fait preuve.
Après cet échec cuisant, Terry Ros abandonna sa famille et se retira à Edenbrook, où l'on n'eut que très peu de nouvelles de lui.
Au contraire, Harper connut vite le succès : on le présenta au grand Maître de l'Eau, Pius Dischett, qui fut ravi d'avoir un élève aussi doué. Il se fit un nom dans la bourgeoisie, en ayant pour amis proches la famille des Phelps, et surtout le fils aîné, Zoltan, qui avait racheté l'affaire de Neil Collins, et qui prenait part aux activités de la Guilde des Alchimistes.
Lorsque Dischett mourut d'une maladie fulgurante, Harper avait vingt-deux ans. Albert Newton, pour désigner un grand maître de l'Eau, n'eut aucune hésitation : ce serait Harper Collins. Pour ce jeune homme, ce fut la consécration : il était désormais habilité à former les futurs maîtres de l'Eau. Harper avait toujours recherché le prestige, on le lui avait presque offert. Il pensait plutôt qu'il se distinguerait en créant un nouvel artefact, mais la providence en avait décidé autrement. Mais il n'abandonna pas les Alchimistes pour autant.
Aujourd'hui, Harper Collins avait vingt-quatre ans, et Caao Salem en avait vingt-trois. Harper ne comptait plus ses tentatives désespérées pour faire entrer Caao dans "le monde", mais celui-ci refusait obstinément toutes ses propositions. C'était soit la reconnaissance par Herton ou Newton, soit rien. Et ce jour-là , alors que Caao se posait devant lui, Harper réalisa soudain que Caao était peut-être le reflet de Terry. Tout ou rien. Mais il n'avait pas le temps pour ce type de considérations :
"Allons-y." dit simplement Harper à Caao.
Ils se rendirent au sud de la ville, où ils étaient attendus. Les rues, quoique bien entretenues, ne plaisaient pas à Caao, qui se déplaçait en lévitant à quelques centimètres du sol. De cette façon, il paraissait toujours plus grand que Harper, richement habillé. Ses cheveux ébouriffés dépassaient le chapeau haut-de-forme, son armure de cuir étincelait plus que le queue-de-pie, le manche de sa dague courte brillait plus que la canne surmontée de pierres précieuses. Caao devait se montrer, pour qu'un jour, il soit reconnu à sa vraie valeur sans avoir besoin de ces supercheries. Puisque sa réputation devait le précéder, il mettrait tous les moyens pour. Mais il détestait devoir se mettre en valeur de cette façon qu'il trouvait ignoble. Il haïssait sa position.
La maison devant laquelle ils s'arrêtèrent ne payait pas de mine, mais elle était plutôt grande par rapport aux autres maisons de Baie Argentée. Harper frappa la porte du bout de sa canne, et une jeune femme la leur ouvrit :
"Ah ! Vous voilà , dit-elle, entrez donc."
Harper la salua, ôta son chapeau, et ils pénétrèrent dans la maison, pleine de lumière : les fenêtres donnaient plein sud, et quelques bougies étaient allumées dans les coins qui restaient les plus sombres :
"Jezebel ne va pas tarder à arriver, déclara la jeune femme, elle est en ville.
- Nous allons enfin pouvoir faire sa connaissance, dit Harper, n'est-ce pas Caao ?"
Caao répondit par un grognement qui semblait affirmatif. Il se fichait royalement des rencontres. Ce qu'il voulait, c'était uniquement devenir un homme de valeur aux yeux du grand maître Herton. Peu importe comment il y parviendrait. Il avait cru que Harper l'avait compris, mais apparemment, ce n'était pas le cas.
Ils prirent place sur des fauteuils, près de l'âtre qui était éteint :
"Eh bien Revee, reprit Harper, qu'y a-t-il de nouveau à Baie Argentée ?
- Rien de spécial. Lady Fleise est toujours aussi avare, en matière d'argent comme de compliments.
- Elle ne veut toujours pas... ? demanda Harper.
- Toujours pas, répéta Revee, et ce n'est pas faute d'avoir essayé."
Harper était stupéfait. Revee n'était toujours pas parvenue à faire partie de la cour de Lady Fleise. Pourtant, dans la famille Botania, on était Druide de mère en fille, et on gardait le nom de Botania malgré les mariages. Certes, Revee avait accompli le rituel du Soleil et était devenue Grand Druide, mais elle n'avait pas gagné la protection de la famille Fleise aussi facilement que sa mère et sa grand-mère. D'ailleurs, depuis la mort du Grand Maître de la Terre, c'était Loretta Fleise qui faisait accéder au rang de Maître. Un rang que Revee n'avait encore pas pu atteindre.
"Et les études ? interrogea Harper.
- La Distorsion de Masse ne va bientôt plus avoir de secrets pour moi, répondit Revee d'une voix douce. Et je suis devenue Experte en Corps et en Spiritisme.
- Alors, c'est bien, la magie cléricale ?
- Bof. Elle est utile pour soigner la plupart des maux, mais elle ne vaut pas la magie élémentaire contre des adversaires coriaces."
À peine Revee eut-elle fini sa phrase que la porte de la maison s'ouvrit, laissant entrer une jeune femme d'une beauté incroyable dans le salon illuminé. D'ailleurs, on ne savait plus qui générait le plus de lumière entre les fenêtres et la jeune femme. Sa peau, claire comme le sable du pays des dragons, et ses cheveux, aussi brillants que les pierres de soleil, semblaient la recouvrir d'un voile lumineux qui ne faisait que l'embellir. Le rouge sang de sa robe et de ses lèvres rehaussaient l'éclat de ses yeux noirs, farouches, profonds à tel point que l'on pouvait s'y perdre.
Jezebel était, selon la légende, originaire de Regna. Personne ne savait d'où elle venait. Lorsqu'elle n'était encore qu'une enfant, elle avait été sauvée des mers, alors qu'elle voguait dans un tonneau à l'Est de Mist. La blondeur de ses cheveux et la noirceur de ses yeux confirmaient l'image que l'on avait en Enroth de la femme de Regna, au caractère impétueux, indomptable. Le foyer dans lequel elle fut accueillie garda bien ses distances avec elle, si bien qu'elle n'eut aucun remords à l'abandonner pour se consacrer uniquement à la magie du Feu à Port Libre, on ne sait pour quelles raisons. En tout cas, elle était une virtuose dans l'art de maîtriser les flammes. Toujours considérée comme une étrangère parmi ses semblables, elle devint petit à petit celle qu'on croyait qu'elle était, c'est-à -dire une femme qui correspondait au stéréotype de la femme de Regna. Son coeur semblait fermé à toute forme d'amour et d'amitié, et rares étaient ceux qui se risquaient à l'approcher pour mieux la connaître, malgré sa beauté.
Cependant, Revee Botania avait agi autrement. Elle l'avait rencontrée à la guilde du Feu, et les deux jeunes femmes s'étaient entraînées très souvent ensemble. Revee lui avait fait de petites confidences de temps en temps, en attendant qu'elle décide d'en faire autant. Lorsque ce moment était arrivé, Revee avait su que leur amitié serait durable ; Jezebel la considérait comme digne d'elle - du moins, c'était son point de vue - et elle ne voudrait certainement pas perdre cette amitié si longuement préparée.
Harper fut subjugué par la beauté de Jezebel. Caao, qui était resté muet jusque là , ne put retenir un "Ah !" d'admiration. Revee en fut presque un peu jalouse : elle aussi aurait aimé provoquer cet effet-là sur les hommes, eût-il été deux, trois, quatre fois moins fort.
Elle brisa le silence béat qui venait de s'installer :
"L'on nous attend, dépêchons-nous."
Les quatre mages sortirent de la maison, et se rendirent au château Fleise. Ils ne savaient pas encore pourquoi ils y avaient été convoqués, mais ils avaient été avertis de l'importance de leur présence. Au garde qui les arrêta devant la porte du château, ils tendirent les parchemins qu'ils avaient reçu des messagers, puis ils franchirent la porte. Un page les conduisit alors devant la salle du trône, les annonça, et les fit entrer.
Loretta Fleise était une femme élégante, qui prenait soin de son apparence. Sa toilette était superbe, et reflétait la toute jeunesse de son visage, malgré son âge qu'il convient de taire. A la gauche du trône sur lequel elle était assise, se tenait, à la grande surprise des quatre mages, Anthony Stone, revêtu, malgré le temps estival, de son inséparable cape de fourrure.
Harper, qui avait ôté son chapeau depuis qu'il était entré dans le château, éprouva le besoin de faire quelque courbette avec son couvre-chef tout en se penchant bien bas et en s'appuyant sur sa canne miroitante, comme il était de tradition dans les demeures bourgeoises. Voyant cela, Revee et Jezebel se sentirent obligées de faire une révérence. Caao, insensible à tout cela, fit un simple signe de la tête aux deux seigneurs qui se tenaient devant lui.
Lady Fleise fit la moue :
"Nous n'avons pas le temps pour le protocole, dit-elle d'un ton qui lui était familier. L'heure est grave, et Newton est en retard. Quel tête-en-l'air, celui-là  !" ajouta-t-elle sans concessions.
Et comme pour lui répondre, Albert Newton apparut à la droite de Lady Fleise, grâce à une Balise de Lloyd, et accroché à son bras se tenait :
"Terry ?!" ne put retenir Harper.
Harper jeta un regard agressif à son demi-frère, un regard qui disait : "Qu'est-ce que tu fous là  ?". Terry, en retour, lui répondit d'un regard similaire : "La question, c'est toi, qu'est-ce que tu fous là  ?".
"Vous vous connaissez ? demanda Lady Fleise.
- Euh... répondit Harper.
- C'est-Ã -dire que... dit Terry.
- La tâche n'en sera que plus facile." conclut-elle.
Terry se rapprocha des mages et Newton s'avança vers le trône.
"Bien, maintenant que tout le monde est là , nous pouvons commencer, déclara Lady Fleise. Voilà la situation. Les espions de Lord Temper et Lord Stromgard nous ont appris qu'Alphrus le nécromancien est mort il y a peu. Si vous ne savez rien de lui, c'est normal, il fut l'un des cadres inférieurs de l'armée d'Archibald, et nous ne nous sommes que peu souciés de lui. Ils affirment qu'il se prépare à effectuer le Rituel de la Nuit Éternelle. Dans sept jours exactement, la lune sera pleine, et les nécromanciens comme Alphrus aiment cette période. Il est donc évident que ses disciples le feront renaître cette nuit-là , à minuit. Cependant, Corlagon et Agar, les anciens lieutenants d'Archibald, ne l'entendent pas de cette oreille. Ils ne veulent pas qu'Alphrus devienne une liche avant eux. Ils vont donc tenter d'empêcher ses disciples d'accomplir le rituel. Mais vous serez là . Et votre mission consistera à éliminer toutes ces personnes présentes, y compris Corlagon et Agar. Toutes ces informations résultent de la coopération entre les six seigneurs d'Enroth, c'est-à -dire que nous sommes soutenus par le roi Roland. Je n'ai donc pas besoin de préciser à quel point nous tenons à ce que vous réussissiez.
- Il en va de la sécurité d'Enroth, ajouta Lord Stone.
- Toutefois, ajouta Newton, quand vous tuerez Corlagon, prenez le Cristal qu'il portera certainement sur lui. Il m'est d'une importance capitale.
- Où devrons-nous nous rendre ? demanda Harper.
- Mes druides ont détecté des phénomènes obscurs au nord du volcan de Kriegspire, dans le flanc de la chaîne de montagnes. Il y a certainement une grotte dans le secteur. C'est là qu'ils seront. D'autres questions ?"
Il y eut un moment de silence, puis Anthony Stone reprit la parole :
"Nous mettrons tous nos moyens à votre disposition, évidemment. Vous avez carte blanche.
- Cependant, précisa Albert Newton, nous ne pouvons vous mettre des hommes à disposition. Vous devrez agir seuls.
- Si vous réussissez, vous aurez notre soutien au Grand Conseil. Vous avez sept jours, conclut Loretta Fleise. À moins que vous n'ayiez d'autres questions, vous pouvez disposer."
Les cinq mages se retirèrent silencieusement. Revee invita ses compagnons chez elle, où ils purent boire une pinte d'ale en discutant de leur nouvelle mission :
"Pourquoi nous ? demanda Caao. Nous ne sommes rien pour eux. Pourquoi ne pas avoir demandé à Tanir, Falagar ou Sulman ?
- Ils sont trop vieux, répliqua Terry.
- Tu as sans doute raison, dit Harper. En plus, nous ferions n'importe quoi pour nous faire remarquer du beau monde, toi le premier, Caao.
- Pas faux, répondit Caao. Mais vous vous connaissez d'où, tous les deux ?
- On ne peut pas parler d'autre chose ? protesta Terry.
- D'ailleurs, c'est drôle comment vous vous ressemblez, renchérit Jezebel.
- Nous sommes demi-frères." avoua Harper.
Terry lui jeta un regard noir.
"Mais enfin, Terry, gémit Harper, on n'allait pas le leur cacher. Ce sont mes amis.
- Pas les miens, rétorqua Terry.
- Du calme, tous les deux, s'interposa Revee d'une voix douce. Vous allez être amenés à vous battre ensemble. Et puis, personnellement, j'ai hâte de te connaître un peu mieux. Qui es-tu pour arriver chez Lady Fleise au bras de Lord Newton ?
- Un Expert en Lumière prêt à prendre sa revanche sur ces nécromanciens, répondit Terry après un soupir.
- Eh bien, voilà qui est mieux. Souris un peu, cela ne va pas te tuer. Je suis Revee Botania, Grand Druide, et Experte en Terre. J'aspire à devenir Maître auprès de Loretta Fleise.
- On m'appelle Jezebel, je suis Maître en Feu, mais je ne suis rien pour les gens d'Enroth.
- Je suis Caao, Expert en Air, et j'ai certainement le niveau pour être Maître. Mais pas les soutiens."
Terry les regardait tour à tour, et se fendait d'un sourire forcé :
"Enchanté de faire votre connaissance." parvint-il à dire.
Terry n'arrivait pas à admettre que les amis de Harper pussent être bienveillants envers lui, puisqu'il ne l'était pas envers eux, du moins ne voulait-il pas le montrer. Harper, quant à lui, aspirait à ce que ses relations avec Terry s'améliorent, même s'il ne voulait pas le lui montrer de prime abord.
"Sept jours, dit Harper, c'est court.
- Ça rime, en plus, soupira Caao.
- C'est pourquoi je vous invite à Eau Claire, pour que nous nous préparions à cette aventure, ajouta Harper.
- C'est à l'autre bout d'Enroth, geignit Jezebel. En sept jours, on n'aura jamais le temps d'aller à Kriegspire en passant par Eau Claire.
- Me sous-estimerais-tu ? interrogea Harper en tendant ses bras vers les autres. La Balise de Lloyd est le meilleur allié des mages.
- Deux minutes, papillon, dit Revee doucement en repoussant le bras de Harper. Laisse-nous au moins le temps de faire nos valises."
Harper donna une heure à ses compagnons. Il transporta Caao et Terry, qui n'habitaient pas à Baie Argentée, chez eux, respectivement Sorpigal et Edenbrook. Entre temps, il se téléporta à la Guilde des Alchimistes, à Eau Claire. Il discuta avec celui qui avait été son maître, Glen Djalon, puis retourna prendre Terry et Caao, puis Revee et Jezebel. Il leur avait pris des chambres à la taverne du Lac Chantant, et insista pour qu'ils ne lui payent rien. Puis ils allèrent ensemble à la Guilde des Alchimistes. En chemin, ils virent quatre enfants de sept ou huit ans qui jouaient aux guerriers avec des bouts de bois. Lorsque les enfants aperçurent les cinq mages, ils se précipitèrent vers eux :
"Regardez, ce sont des magiciens ! s'exclama une fillette dont les cheveux formaient deux tresses blondes.
- Même qu'il y a des filles ! dit une autre fillette aux cheveux noirs.
- Vous savez manier des armes ? demanda un garçon.
- Vous faites de la magie, de la vraie magie ?" demanda un deuxième garçon, qui arrivait en boitillant.
Les magiciens étaient presque surpris par tant d'admiration.
"Bien sûr, répondit Revee d'une voix douce.
- On peut tout faire, dit Terry.
- Même soigner Zoltan ?" dit le premier garçon.
Et tous se tournèrent vers le plus petit des quatre, frêle, et qui s'était foulé la cheville, selon la blondinette.
"Voyons voir." dit Revee.
Elle examina la cheville enflée du petit garçon, puis murmura quelques mots. Une nouvelle énergie anima rapidement le garçon.
" Je n'ai plus mal ! s'écria-t-il. C'est génial."
Et les autres enfants d'exprimer leur joie par des cris enfantins qui semblaient donner du baume au coeur des cinq mages.
"Merci beaucoup, dit Zoltan. Vous savez, j'aimerais être un grand magicien comme vous.
- On s'entraîne déjà beaucoup, dit l'autre garçon.
- En plus vous êtes tous beaux, dit la fille aux cheveux noirs avec un grand sourire.
- Peut-être que vous serez encore là quand on sera grands, et des guerriers comme vous.
- Je l'espère bien, dit Caao en riant.
- Retenez bien nos noms et nos visages alors, dit Zoltan avec une forte détermination. Moi c'est Zoltan, et je vous présente Roderick (l'autre gaçon), Alexis (la blonde) et Serena (la fille aux cheveux noirs).
- On se souviendra de vous, ne vous inquiétez pas." répondit Harper.
Là -dessus, les enfants partirent pour jouer ailleurs. Harper mena ses compagnons à la Guilde des Alchimistes, et les présenta au maître de la Guilde, Glen Djalon. Il invita ses compagnons à regarder sur les étals ce qui pouvaient les intéresser parmi des parchemins, livres, et autres objets magiques. Il prit Terry à part :
"Tu sais, Terry, j'aimerais qu'on s'entende mieux, toi et moi.
- Harper... Tu sais que cela ne sert à rien, et que l'on ne se reverra pas après.
- Quand même, Terry, ne me dis pas que tu vas nous ignorer toute ta vie durant !
- Et si je te le dis ?
- Tais-toi. Je voudrais te faire un présent. Comment est ta baguette ?
- Quoi, ma baguette ? Elle est un peu vieille, mais elle fonctionne bien.
- Tu me dis ça pour que je ne t'offre rien, hein ? Viens par ici, nous allons t'enchanter un objet. Choisis entre ceux là ."
Harper laissa son demi-frère choisir une baguette parmi la large gamme proposée par la Guilde. Il prit une baguette faite d'une corne de licorne d'un blanc pur, et un manche en bouleau.
"Excellent choix, dit Harper. Descendons à la cave, maintenant."
Ils passèrent par une petite porte dans le fond de la Guilde, qui débouchait sur un petit escalier sombre, menant à une cave éclairée de quelques chandeliers. Harper invita Terry à le rejoindre au milieu de la cave.
"C'est le meilleur endroit pour enchanter un objet, les énergies y convergent en masse.
- Mais c'est pas lors des solstices que ça marche le mieux ?
- Pas ici. De toute façon, je sais que tu vas y arriver.
- Moi ? s'exclama Terry, surpris. Je ne sais pas enchanter un objet. Je ne vais arriver à rien.
- Je sais bien. Tu vas enchanter la baguette par mon biais. Ma magie va être la base de ton enchantement. C'est toujours mieux d'utiliser un objet qu'on a soi-même enchanté, surtout que tu sais comment tu vas utiliser ta baguette.
- Soit." dit Terry.
Terry tendit la baguette à Harper, qui pointa sa propre canne dessus. Puis un flot de magie bleue sortit de la pierre qui ornait sa canne, entoura les deux demi-frères, et entra dans la baguette de Terry.
"Ce que je fais ne sert à rien, dit Harper d'une voix forte pour couvrir le bruit du flot magique, tu dois faire entrer ta magie dans la mienne pour en imprégner ta baguette."
Terry se concentra sur la magie de la Lumière, fit entrer sa main gauche dans le flot magique, qui prit une teinte dorée brillante, qui illumina la cave toute entière. Harper souriait. La baguette se mit à vibrer. Terry la lâcha, et la baguette lévitait, aspirant l'énergie magique que les deux frères lui donnaient. Terry augmenta la puissance de sa magie, puis se sentit léviter. En effet, la magie avait empli toute la pièce, entourant les deux demi-frères et les faisant tournoyer lentement.
"Plus fort !" cria Harper.
Et tous deux augmentèrent l'intensité du flot magique, et soudain, ils se sentirent aspirés l'un par l'autre. Terry se mit à ressentir ce que Harper éprouvait, et vice versa. Il s'en sentit renforcé, et se laissa emporter par la magie. Il avait l'impression de ne faire plus qu'un avec Harper, la magie et la baguette. Il éprouvait une joie intense.
Brusquement, tout s'arrêta. Harper et Terry revinrent au sol, la baguette tomba, la cave redevint sombre.
"Eh bien, dit Harper, après s'être remis de ses émotions. Je crois que c'est le meilleur enchantement que j'aie jamais fait. Mais, en réalité, c'est toi qui as tout fait. Prend ta baguette, maintenant."
Terry se baissa, prit la baguette qui lui fit éprouver une euphorie et une puissance qu'il n'avait jamais éprouvées auparavant.
"Merci, Harper, dit-il simplement.
- Je t'en prie." répondit son demi-frère.
Ils se regardèrent l'un l'autre un moment, puis remontèrent par l'escalier vers le magasin.